Rémunérations, objectifs : l’économie et l’empathie dans la balance
Alors que le flou entoure les questions des objectifs et des rémunérations variables, les entreprises sont encouragées à faire preuve d’empathie et de maturité managériale pour préserver la motivation et la performance de leurs équipes.
Quels seront les effets des orientations actuelles des politiques de rémunération sur l’engagement des collaborateurs et leur performance ? En France, 39% des entreprises (contre 25% à l’étranger) interrogées en mars et avril 2020 par le cabinet Mercer indiquent qu’elles ne reverront pas à la baisse leur budget d’augmentation. Et 53% d’entre elles considèrent que la crise aura un impact sur les objectifs de performance des collaborateurs, plus particulièrement sur ceux des fonctions commerciales. La crise est arrivée à un moment charnière en matière de rémunération, le niveau des augmentations 2020 et de la part variable avait déjà été annoncées quand elle s’est déclarée en France. « Actuellement, tout le monde sent qu’il faut faire quelque chose pour les objectifs mais il est trop tôt pour savoir ce que décideront les entreprises », observe Bruno Rocquemont, directeur du département Gestion des talents, rémunération et mobilité internationale chez Mercer France. Tant que l’activité est instable, revoir les objectifs et construire des programmes de rémunération variable est prématuré.
Manager la performance, un exercice d’équilibriste
Les entreprises savent néanmoins qu’elles doivent maintenir un haut niveau de motivation chez leurs collaborateurs et collaboratrices. Dans une période d’inquiétude massive sur la pérennité des organisations, concilier la stratégie de l’entreprise et les besoins individuels, faire en sorte de motiver les équipes et de les amener à leur meilleur niveau tient de « l’exercice d’équilibriste entre l’économie et l’empathie », constate Raphaële Nicaud, directrice de la practice Talent chez Mercer France. Manager la performance dans un tel contexte demande aux entreprises de montrer qu’elles prennent à bras le corps le volet humain de la crise.
L’empathie, gage de meilleurs résultats selon l’étude Global Talent Trends
L’édition 2020 de l’étude Global Talent Trends de Mercer réalisée auprès de plus de 7000 dirigeant·es, DRH et salarié·es de 34 pays, révèle d’ailleurs que « les entreprises qui font preuve de plus d’empathie dans leurs prises de décision obtiennent de meilleurs résultats sur un certain nombre de paramètres clés pour leur expansion ou tout simplement leur survie ». Avant la crise, dans les motivations et attentes des collaborateur·trices, le critère rémunération cédait du terrain face aux critères qualitatifs tels que les perspectives de carrière, l’épanouissement, le sens au travail, les engagements RSE de l’entreprise, sa raison d’être. « Or avec la crise, la rémunération redevient un sujet central, les collaborateur·trices sont vigilant·es, si l’on baisse les salaires tout en augmentant les dividendes, ça va coincer », remarque Raphaële Nicaud.
Les salarié·es surveillent les comportements des employeurs
Les comportements des employeurs sont donc examinés. D’autant plus que dans l’Hexagone, des apports d’oxygène ont eu lieu, notamment avec l’extension de la prime Macron et l’activité partielle. Toutefois, la perte de salaire en cas de chômage partiel n’a pas toujours été compensée par les entreprises — une enquête de l’Ugict (Union générale des ingénieurs, cadres et technicien de la CGT) indique que 57% des salarié·es en chômage partiel ont perdu des revenus. Selon le syndicat, la prise en charge de 84% du salaire associée aux exonérations de cotisations pour les entreprises continuant à rémunérer leurs salarié·es à 100% aurait dû permettre d’éviter cette perte. Quant au salaire de base, peu d’entreprises l’ont diminué. Si Aon par exemple a annoncé qu’il le baissait temporairement de 20% pour 70% de ses équipes à travers le monde, les équipes d’Aon France ont été épargnées ; Technicolor quant à lui a demandé à ses salarié·es d’accepter une baisse sur la base du volontariat.
Développer une maturité managériale
Les entreprises qui sont le plus en position d’écoute de leurs salarié·es, signe de leur maturité managériale, ont compris que surmonter les difficultés actuelles et préparer la suite demande un modèle financier, certes, mais aussi un état d’esprit. Les organisations se souviennent, ou doivent se souvenir, de la fuite des talents générée par le gel des salaires de 2009 consécutif à la crise des subprimes, c’est donc un scénario qu’on ne devrait pas revoir. La crise sanitaire doit faire mûrir les modes de management, elle requiert du leadership, il est nécessaire de donner aux managers le pouvoir de décider comment allouer les augmentations. Il faut en tout cas encourager à aller dans ce sens, d’autant plus que les leçons de 2008 ayant été tirées, les managers d’aujourd’hui sont « mieux préparé·es à utiliser des enveloppes réduites, ils·elles savent mieux accorder de façon sélective les augmentations, définir des objectifs, les suivre et les évaluer en fin d’année, ils·elles sont capables de discours différenciés selon les collaborateurs et collaboratrices », conclut Bruno Rocquemont.
Sophie Girardeau
Publié le 26 mai 2020.