L’obligation de sécurité de l’employeur : définition, loi, actions à mettre en place
À l’heure où l’urgence gouverne les décisions, jamais la conviction de Vineet Nayar, ancien dirigeant de HCL Technologies et auteur de l’ouvrage Employees First, Customer Second, n’aura autant fait écho à l’obligation de sécurité de l’employeur : mais de quoi parle-t-on, précisément ?
L’obligation de sécurité de l’employeur : de quoi parle-t-on ?
Concept aussi large que vague, l’obligation de sécurité de l’employeur est pourtant une réalité à prendre en compte aussi bien d’un point de vue légal qu’en termes de QVT. Focus sur cette obligation d’autant plus d’actualité ces dernières années.
· Définition de l’obligation de sécurité de l’employeur
L’obligation de sécurité de l’employeur ou obligation de sécurité au travail est l’injonction que l’entreprise a de veiller à la santé, physique et mentale, et à la sécurité de ses salarié·es.
Cette obligation légale est développée dans l’article L. 4121-1 du Code du travail, qui stipule que l’employeur doit :
- Perpétuellement évaluer et adapter ses méthodes et outils de travail afin de limiter au maximum les risques et la pénibilité ;
- Informer clairement les salariés des risques encourus (dans le contrat de travail, via des panneaux de signalisation) ;
Il ne s’agit donc pas de prévention mais bel et bien de suppression des risques (dans la mesure du possible) et d’une constante évaluation de ces derniers afin d’être raccord aux normes en vigueur.
· Obligation de sécurité : exemples concrets
Priorité aux salarié·es donc, quitte à malmener momentanément le business. Par exemple, Nespresso France a annoncé leur fermeture sitôt connue la décision gouvernementale de clore les lieux publics « non indispensables » due à la première vague de Covid-19, le samedi 14 mars 2020, ce pour protéger salarié·es et client·es,
La veille, le télétravail avait été imposé à l’ensemble des salarié·es du siège. Quant à Monster, le télétravail est obligatoire dans tous les bureaux à travers le monde. Excepté en Allemagne où il est fortement recommandé — l’imposer est du ressort des Länder. « Rassurer, réconforter les gens, nous demander à chaque moment ce qui est bon pour les salarié·es nous a permis de trouver le meilleur équilibre pour les équipes et pour l’entreprise », explique Nelly Rey, DRH Europe de Monster.
Les responsabilités légales de l’employeur et indemnisations
L’employeur étant soumis à une obligation de sécurité, il doit donc pouvoir rendre des comptes à ses salariés. Ainsi, s’il ne respecte pas son obligation de sécurité, il pourra être suivi pour manquement sur le plan civil et pénal.
· Responsabilité civile
Sur le plan civil, l’employeur est tenu d’indemniser son salarié victime d’un accident ou maladie du travail. Cette indemnisation forfaitaire (assurance accident du travail, obligatoire), peut-être complétée d’une indemnisation supplémentaire si le salarié démontre que son employeur était au fait de son obligation de sécurité (et donc de son aspect prévention-risques) comme le précise l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale.
· Responsabilité pénale
Tout manquement à l’obligation de sécurité de l’employeur bascule dans le domaine du pénal dès lors que celui-ci enfreint délibérément la réglementation du Code du travail quant à la sécurité de ses salariés. Cette responsabilité peut être engagée même si aucun dégât physique et psychique n’est constaté.
Tout salarié mis en danger immédiat de mort ou de blessures pouvant aller jusqu’à l’infirmité (physique comme mentale) peut donc poursuivre son employeur. Ce dernier risque, selon la gravité du manquement, à de la prison et une amende délictuelle.
Sécurité des salariés et télétravail : les actions à mettre en place
Les salariés du monde entiers sont confrontés à de nouveaux risques sanitaires de mentaux depuis le début de la pandémie de Covid-19. Quelles actions concrètes les entreprises françaises peuvent – doivent – mettre en place afin d’assure leur l’obligation de sécurité de l’employeur en télétravail ?
· Accepter le télétravail « en mode dégradé »
« Nous portons une grande attention à la santé mentale de nos salarié·es, qui s’apprécient entre collègues, le but est de les aider à vivre l’isolement du confinement le mieux possible », ajoute Nelly Rey.
Une enquête globale hebdomadaire d’une douzaine de questions liées à la santé mentale a été mise en place pour prendre le pouls des équipes. Le top management, qui met le travail entre parenthèse une partie de la journée pour s’occuper de ses enfants, invite les équipes à suivre son exemple.
« La situation actuelle n’a rien à voir avec le télétravail en temps normal. Nous sommes conscient·es qu’il est effectué en mode dégradé et nous acceptons qu’il en soit ainsi », observe de son côté Hélène Gemähling, DRH de Nespresso France. L‘entreprise demande à ses managers de faire preuve de souplesse vis-à-vis des équipes, d’autant plus qu’avec une moyenne d’âge de 34 ans, son effectif compte de nombreux parents d’enfants en bas âge.
· Maintenir le lien pour prévenir les risques psycho-sociaux (RPS)
Tout le monde a vécu le confinement mais pas dans les mêmes conditions, la recrudescence de risques psychosociaux est aujourd’hui attestée.
Outre le lien quotidien qui doit exister entre les managers et leurs équipes — idéalement des échanges par vidéo durant lesquels les managers ne doivent pas se limiter aux sujets opérationnels mais s’intéresser aussi à la santé et au bien-être de leurs équipier·ères —, la mise en place de numéros d’appel est recommandée. En matière de prévention des RPS, Nespresso travaille avec Qualisocial depuis plusieurs années.
« Nous rappelons actuellement à nos collaborateur·trices qu’ils·elles peuvent joindre à titre personnel ou professionnel la ligne d’écoute avec des psychologues », précise Hélène Gemähling. Chez Monster, la DRH monde incite managers et collaborateur·trices à la vigilance parce que « le burnout à domicile, ça existe ».
Par ailleurs, l’utilisation d’applications de bien-être au travail, des conseils nutrition, le partage de contenus qualitatifs et ciblés selon les fonctions, des jeux concours aident à éviter l’ennui, facteur de mal-être, et à mieux vivre le confinement.
· Repérer les pratiques addictives
Selon l’étude GAE Conseil – Institut Elabe de novembre 2019 sur l’impact des pratiques addictives au travail, un·e salarié·e sur deux souffre d’addiction (consommation de produits (alcool, stupéfiants…) ou addictions comportementales). La crise sanitaire génère incertitude et ennui, perte de repères, manque ou surcharge de travail.
Elle amplifie l’inquiétude et le stress chez les personnes exposées au risque de contamination au Covid-19 dans leur activité quotidienne, et réinterroge le sens du travail des personnes qui se retrouvent désœuvrées : à quoi sert mon job ? Autant de facteurs d’augmentation ou d’apparition de pratiques addictives. Détecter les signaux faibles à distance est difficile mais les échange vidéo le permettent mieux que les conversations téléphoniques.
Alexis Peschard, addictologue et président de GAE Conseil, donne ces conseils pour les repérer : « Tous les signes en plus ou en moins qui peuvent apparaître dans la relation doivent alerter : des phénomènes d’excitation, de logorrhée, de sur-travail, de débordement des horaires de travail. Ou au contraire, des phénomènes de retrait, d’évitement, la perte de jovialité. »
· Soigner l’inquiétude des salarié·es en leur apportant des réponses
Un des enjeux actuels des RH est de répondre rapidement aux managers assailli·es de questions sur le télétravail, l’activité partielle, le droit de retrait, mais aussi les congés payés, les RTT, le paiement des commissions des fonctions commerciales… Des communications journalières et la mise en place de FAQ sont nécessaires, bien que le cas par cas soit la règle.
« Les sujets liés à cette crise sans commune mesure ont besoin d’être réfléchis, les inquiétudes qu’elle suscite nous demandent d’apporter des réponses justes et d’anticiper, cela peut être compliqué quand les décisions gouvernementales se succèdent », pointe Hélène Gemähling.
Veiller à la santé mentale des équipes est indispensable non seulement pour assurer la continuité de l’activité mais encore, pour la reprise.
Les risques psychosociaux sous-estimés quand les projecteurs sont dirigés sur le risque infectieux, sont une bombe à retardement en forme de burnout ou de dépressions dont le nombre pourrait exploser à moyen terme.
Sophie Girardeau