Congé paternité : pourquoi et comment le promouvoir
En favorisant la prise de la totalité du congé paternité, en proposant parfois plus que la loi, l’entreprise répond aux attentes de salariés en quête d’équilibre vie pro/vie perso. Facteur d’engagement et de productivité, ce type de dispositif participe aussi à l’évolution des mentalités sur la parentalité.
Un an chez Netflix, 24 semaines chez Spotify, 10 chez Aviva, 6 chez L’Oréal[1] : depuis des années, bon nombre d’entreprises — des grands groupes — font plus que ce que la loi française prévoit en matière de congé paternité (28 jours ou 35 en cas de naissance multiple).
Pourquoi promouvoir le congé paternité ?
C’est d’abord pour des raisons d’attractivité, de fidélisation et d’engagement des collaborateurs que les entreprises rivalisent d’avantages sociaux pour leurs salariés.
Les organisations engagées dans une démarche diversité et inclusion « ont près de 60% de chances supplémentaires de voir leurs profits et leur productivité augmenter et d’avoir meilleure réputation », selon une étude Deloitte de janvier 2020.
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Un type de dispositif qui devient la norme
« Même si ce sujet se fond dans celui de la qualité de vie au travail, l’entreprise qui ne promeut pas ce congé paraît dépassée », constate Antoine de Gabrielli, cofondateur de Companieros et initiateur du dispositif Happy Men Share More.
Ubisoft par exemple, qui compte plus de 20 000 salariés dans le monde, dont 4 500 en France, propose aujourd’hui un congé de 7 semaines rémunéré à 100%. C’est une brique d’un dispositif qui comprend aussi des places en crèche et des solutions de garde d’urgence.L’éditeur de jeux vidéo répond aux attentes de jeunes pères qui aspirent à être plus disponibles au moment de la naissance de leur enfant — 90% d’entre eux le prenaient avant qu’il ne soit allongé.
« Il s’agit de reconnaître la place de chaque parent et aussi de briser les stéréotypes attachés à notre industrie encore fortement masculine », explique sa DRH France & siège, Olivia Campo.
Les entreprises qui misent sur un congé « augmenté », des multinationales pour la plupart, ont une vision globale des pratiques d’autres pays. Le cadre légal français montre ses limites étant donné que la majorité des jours sont en option. « Vu l’enjeu social que cela représente, de soutien des femmes au moment de la naissance, un mois obligatoire me semble indispensable », estime Antoine de Gabriellli.
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Un aiguillon pour plus d’égalité femmes-hommes ?
Une étude du Cereq de mars 2022, sur les freins qui limitent le recours à ce congé chez les jeunes pères, pointe d’ailleurs une politique hexagonale « modérée par rapport aux dispositifs en vigueur dans les pays voisins ».
L’Allemagne et l’Espagne par exemple attribuent respectivement deux et quatre mois de congés bien rémunérés. En Finlande, le congé paternité est de 54 jours, dont 36 doivent être utilisés en dehors du congé de la mère.
L’étude souligne que « les congés les plus propices à favoriser l’investissement des hommes dans les tâches parentales et domestiques sont ceux rémunérés, réservés aux pères, de plusieurs mois et utilisés en partie en dehors du congé de la mère ».
Un congé long permet en outre de prendre en compte un autre sujet sociétal, celui des aidants. Des parents peuvent en effet être confrontés à la maladie ou au handicap de leur nouveau-né.
Conseils pour promouvoir le congé paternité
Ce congé a beau être légal, 30% des jeunes pères n’exercent pas leur droit[2].
1. Informer les salariés de ce droit individuel
Pour exercer ce droit, les bénéficiaires doivent d’abord être pleinement informés des modalités du dispositif. Des entreprises rédigent des guides parentalité rappelant son cadre légal, le cadre conventionnel et le cadre de l’entreprise. En 2021, le ministère de l’Économie a édité le Guide ministériel de la parentalité.
2. Affirmer son engagement employeur
La signature de chartes est un moyen d’affirmer sa position d’employeur engagé. Par exemple, la Charte de la parentalité en entreprise de l’Observatoire de la qualité de vie au travail. Ou encore, le Parental Challenge, un dispositif de douze engagements pour mieux accueillir la parentalité en entreprise, incluant les parcours PMA (procréation médicalement assistée) et l’adoption[3].
3. Mesurer l’impact de ce congé
L’étude Child Penalty France montre ce que coûte professionnellement le fait d’avoir un enfant. Sans surprise, les mères sont plus pénalisées que les pères.
« Une façon de rééquilibrer cela est d’arriver à la prise de 100% des jours fixés par la loi, notamment par la subrogation de salaire », estime Delphine Cochet, cofondatrice de Ma Bonne Fée.
Elle propose que le nombre de jours de congés pris soit intégré dans les indicateurs clefs de performance, afin de mesurer l’impact du dispositif et de pouvoir dire ce qui fonctionne.
4. Travailler sur les stéréotypes
Il faut insister sur le sens d’une mesure propice à l’équilibre entre les sphères de vie, certes, mais qui doit aussi contribuer à plus d’égalité femmes-hommes, à moins de discriminations. La formation et la sensibilisation, des managers et des collaborateurs, y contribuent. L’entreprise qui veut promouvoir ce dispositif doit également prendre en compte tous les schémas de parentalité (couples traditionnels, couples LGBT, parents isolés…).
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Valoriser la prise de ce congé
Par peur entre autres du jugement d’autrui et d’un impact négatif sur leur carrière, des pères ne s’autorisent pas à prendre ce congé[4]. Faire témoigner ceux qui l’ont pris et rendre visible ces témoignages permet de faire bouger les lignes. Pierre-Edouard Batard par exemple, directeur général de la Confédération nationale du Crédit mutuel, a pris trois mois alors que rien n’était prévu pour que ce soit possible à son niveau hiérarchique. Son témoignage peut inspirer ses pairs.
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En faire un sujet dans l’entreprise
Dans nombre d’entreprises, ce n’est pas un sujet, à croire que c’est un congé lambda. Pour preuve, il n’existe pas d’entretien obligatoire au retour au travail du père alors qu’il en existe au retour de la mère. Pourtant, le couple vit un moment clef, qui change les équilibres. Voilà qui mériterait de faire le point avec le père à son retour au travail.
« Le sujet n’est pas la durée du congé mais le fait d’avoir eu un enfant. Cet entretien est une occasion pour le salarié de discuter de l’organisation de son travail depuis sa nouvelle paternité, c’est incontournable », insiste Antoine de Gabrielli.
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Combattre les préjugés liés à la parentalité
Après une naissance, la mère voudrait ralentir le rythme mais la vie professionnelle du père suivrait son cours : ce préjugé, un parmi d’autres, a la vie dure. « Suggérer un temps partiel à un père à son retour de congé paternité ne devrait pas sembler bizarre », considère Delphine Cochet.
5. Créer un climat de confiance
Plus tôt le salarié annonce sa future paternité, plus tôt l’entreprise peut anticiper son absence.
« L’arrivée d’un bébé s’anticipe, et la confiance que les collaborateurs ont dans la DRH et le management permet d’anticiper d’autant plus », constate Élodie Lheureux, DRH de Richel Group, entreprise familiale de plus de 350 personnes.
Il s’agit donc de créer un environnement où le salarié parle le plus vite possible de la future naissance ou adoption, où l’on se réjouit de cette annonce avant de réfléchir à l’organisation.
6. Miser sur la flexibilité
Pour mettre en place un congé de sept semaines sans désorganiser le travail, Ubisoft donne la possibilité de le fractionner en trois. Ce congé est à prendre dans les douze mois, chaque période devant durer au minimum cinq jours.
Avec une population dont la moyenne d’âge est de 33 ans, synonyme de nombreuses naissances, cette flexibilité est indispensable.
« Pour éviter des vagues d’absence très fortes, nous proposons un choix de semaines spécifiques à des moments clés, le choix étant fait par le salarié après discussion avec son manager », précise Olivia Campo, DRH France et siège de l’entreprise.
Sophie Girardeau
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[1] Chiffres 2019.
[2] L’instabilité de l’emploi et des revenus apparaît comme un facteur central d’inégalités dans la prise du congé de paternité, selon l’étude Cereq.
[3] Dans ce cadre, le cabinet de conseil et d’audit PwC France propose l’arrêt fausse couche rémunéré à 100% pour la mère et le second parent.
[4] Selon l’étude du Cereq, cela concerne 59% des pères travaillant depuis moins d’un an dans leur entreprise au moment de la naissance, alors même que ce droit est ouvert sans condition d’ancienneté.