Le congé menstruel : de quoi s’agit-il et comment le mettre en place ?
La dysménorrhée toucherait 91% des femmes. En France, l’idée que les règles douloureuses perturbent véritablement le quotidien professionnel des femmes fait doucement son chemin. Si vous faites partie de ces entreprises qui reconnaissent qu’il est nécessaire de prendre en compte la santé menstruelle des femmes, voici quelques pistes de travail.
La menstruation des femmes reste encore une problématique que la société a du mal à aborder, un malaise qui se ressent aussi fortement dans le monde du travail. Une étude menée par OpinionWay en 2021 indiquait ainsi que 68 % des femmes interrogées estimaient que les règles étaient un sujet tabou en entreprise.
Une autre étude de l’IFOP sortie en octobre 2022, révélait que 21 % des femmes interrogées disaient avoir subi des moqueries ou des remarques désobligeantes liées à leur menstruation tandis 37% affirmaient que la gêne des règles est sous-estimée dans leur entreprise.
Heureusement, les mentalités commencent à évoluer notamment dans le champ politique.
Les propositions de loi autour du congé menstruel
Ces derniers temps, la santé gynécologique des femmes, notamment le congé menstruel est au cœur des débats politiques. Ainsi, plusieurs propositions législatives ont vu le jour pour tenter d’agir sur un problème largement ignoré par la société et le monde du travail.
Portée par les députés Europe Écologie Les Verts, la proposition de loi pour un congé menstruel a été déposée en 2023 avec les suggestions suivantes :
- Arrêt de travail de 13 jours sur un an, fourni par un médecin ou une sage-femme
- Arrêt intégralement pris en charge par la Sécurité sociale et sans jour de carence
- Recours au télétravail pour les salariées et agentes publiques atteintes de menstruations incapacitantes
- Intégration de la santé menstruelle et gynécologique comme objet de négociation collective, dans les secteurs privé ou public et dans les prérogatives d’action de la médecine du travail
- Inscription dans le droit du travail et le code général de la fonction publique que l’état de santé menstruel et gynécologique ne peut faire l’objet d’aucune discrimination dans la vie professionnelle
Les pays qui ont adopté le congé menstruel
Si l’idée suscite l’intérêt en France, d’autres pays ont déjà mis en place ce dispositif :
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Japon
Précurseur sur le sujet, le Japon – qui n’est pourtant pas un exemple en matière de droit du travail – a été le premier pays à inscrire ce droit dans une loi datant de 1947 ! Là-bas, les femmes peuvent prendre autant de jours nécessaires pour leur congé menstruel mais ils ne sont pas rémunérés.
A noter que selon une étude du Ministère du Travail japonais, seulement 0,09% des femmes indiquent utiliser ce congé.
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Indonésie
Depuis 2003, l’Indonésie propose aux salariées un ou deux jours en cas de règle douloureuse avec, pour seule obligation de prévenir leur employeur des jours concernés.
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Corée du Sud
La Corée du Sud autorise les salariées à prendre un jour de congé menstruel par mois qui n’est pas payé. Les entreprises qui ne respectent pas cette obligation doivent payer une amende d’environ 3 700€.
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Taiwan
Taiwan a également adopté le congé menstruel : les salariées peuvent bénéficier d’un jour par mois pour un total de trois jours par an. Les femmes qui le souhaitent peuvent disposer de plus de jours de congés menstruels considérés comme des jours de congé maladie donc remboursés.
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Zambie
Depuis 2015, la loi offre aux femmes un congé menstruel qui leur permet de prendre un jour de congé supplémentaire par mois, sans préavis ou certificat médical. Ce congé menstruel est surnommé « fête des mères ».
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Espagne
A ce jour, l’Espagne est le premier pays européen à adopter une loi sur le congé menstruel : votée en février 2023, elle stipule que l’arrêt maladie doit être délivré par un médecin, sans aucune durée limitée et financé par la Sécurité Sociale.
Pourquoi proposer un congé menstruel ?
Certains peuvent se demander – à juste titre – pourquoi l’entreprise aurait vocation à intervenir dans la santé gynécologique de la femme. Cependant, au-delà de la question délicate de la vie privée et du secret médical, le congé menstruel est aussi devenu un sujet politique et sociétal, directement lié au bien-être en entreprise.
Pour comprendre l’intérêt de cette mesure et avoir une idée de ce que vivent la majorité des femmes quelques jours par mois et ce, pendant près de 38 ans, un rappel sur la définition médicale de la dysménorrhée :
La douleur pelvienne peut survenir 1 à 3 jours avant ou pendant les règles et atteint un pic, 24 heures après le début des règles pour s’atténuer après 2 à 3 jours.
Il s’agit souvent d’une crampe ou d’une douleur sourde et constante, mais elle peut être aiguë ou lancinante ; irradier vers le dos ou les jambes, déclencher des maux de tête, des nausées, constipations, diarrhées, lombalgies etc.
L’étude de l’IFOP indique que :
- 65 % des salariées ont déjà été confrontées à des difficultés liées à leurs règles au travail
- 35 % d’entre elles déclarent que leurs douleurs menstruelles impactent négativement leur travail
- 44 % des femmes ont déjà manqué le travail ou connaissent une personne qui a manqué le travail en raison de menstruations douloureuses
Bref, un employeur pragmatique, qu’il soit engagé ou pas dans une politique de RSE, doit malgré tout s’interroger : quel est l’intérêt d’avoir une salariée présente incapable de travailler correctement ?
D’autant plus qu’instaurer un congé menstruel comme en Espagne pourrait ainsi permettre à l’employeur de :
- Contribuer au bien-être de ses salariées (66 % des femmes sont favorables au congé menstruel)
- Optimiser sa marque employeur (66% estiment qu’une entreprise proposant le congé menstruel serait plus attrayante)
- Fidéliser ses équipes
- Capter les talents
- Booster la productivité
Comment mettre en place le congé menstruel ?
Le congé menstruel n’étant pas pour l’instant encadré par une mesure législative, une entreprise peut malgré tout choisir de l’instaurer.
1. Aborder la question via le comité social et économique
Le CSE est le principal interlocuteur pour interpeller l’employeur sur les sujets relatifs à la santé et aux conditions de travail des salariés. Il a donc tout à fait le droit d’initier un tel projet et d’en partager les bénéfices auprès de l’entreprise.
2. Poser la question aux femmes concernées
Si l’employeur semble favorable à l’idée, pourquoi ne pas envoyer un questionnaire anonyme aux salariées pour les sonder sur le bien fondé d’un congé menstruel ? Sans enfreindre le secret médical, cela permet de se faire une idée sur leurs desideratas et les procédés à mettre en place.
3. Constituer un groupe de travail
En se basant sur les attentes des salariées, les préoccupations managériales et les obligations de l’entreprise, cette équipe – qui peut être constituée de délégués du personnel, du service RH et de managers – aura pour mission de réfléchir à la mise en place réaliste de l’expérimentation.
Faut-il accorder un ou deux jours d‘absence par mois ? Un certificat médical est-il exigé ou est-ce qu’une déclaration sur l’honneur est suffisante ? Le préavis est-il nécessaire ? Prévoit-on un maintien du salaire ou pas ?
4. Signer d’un accord d’entreprise
Une fois que les détails autour du congé menstruel ont été fixés et approuvés par l’ensemble des salariés de l’entreprise, l’étape suivante consiste à rédiger et signer un accord d’entreprise avec les représentants syndicaux ou les élus du CSE.
5. Communiquer l’expérimentation
Pendant que le congé menstruel se met en place, il est aussi important de sensibiliser l’ensemble des salariés de l’entreprise qui ne sont pas concernés par le sujet. Communiquer sur les enjeux de ce dispositif et la santé gynécologique des femmes est un outil important pour lever le tabou et engager le dialogue.
6. Evaluer le dispositif
A l’issue de cette expérimentation et pour analyser son succès ou ses améliorations éventuelles, il est évidemment impératif d’interroger les femmes qui en ont été bénéficiaires pour recueillir leur feedback et pérenniser (ou pas) l’accord d’entreprise. Si la mise en place du congé menstruel s’avère trop compliquée, n’oubliez pas qu’il existe des alternatives comme le télétravail, les horaires plus flexibles ou l’accès à un espace privé de repos.
Congé menstruel : s’inspirer des entreprises privées et publiques
Pour les employeurs soucieux de la santé de leurs équipes, il n’est pas nécessaire d’attendre une législation pour agir. De nombreuses entreprises publiques et privées proposent un congé menstruel ou testent le procédé pour en analyser l’impact. Voilà quelques employeurs et collectivités qui ont sauté le pas :
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La Scop La Collective (Montpellier)
En 2021, la société coopérative de production a mis en place un congé menstruel rémunéré. Les femmes souffrant de règles douloureuses peuvent ainsi poser un jour de congé supplémentaire rémunéré par mois. Pour cela, il suffit de prévenir par un mail le directeur administratif.
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Louis Design (Toulouse)
Depuis mars 20222, l’entreprise de mobilier de bureau propose un jour de congé payé supplémentaire une fois par mois sans avoir à fournir un justificatif médical. Les salariées de bureau peuvent également choisir une journée de télétravail.
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Le Parti socialiste (Paris)
Depuis décembre 2022, le PS propose un jour de congé menstruel aux salariées de son siège, quelle que soit la nature de leur contrat. Sans surprise, le parti a déposé un projet de loi sur le sujet à l’Assemblée nationale.
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Goodays (Lille)
Le développeur de logiciel a mis en place en mai 2022 une véritable politique de santé gynécologique pour ses salariés. Elle propose notamment un congé menstruel d’une journée, voire deux si nécessaire. On salue également les mesures concernent ses salariées victimes de fausse couche (5 jours de congés) et leur conjoint (deux jours).
Et pour ceux et celles qui craignent les abus, le DRH précisait à BFMTV « Sur les 40% de femmes qui composent les 100 salariés de l’entreprise, cinq ont demandé à en bénéficier ce qui correspond environ au ratio de 10% de femmes sur la population française qui souffrent d’endométriose ».
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Mairie de Saint-Ouen
Depuis mars 2023, c’est la première collectivité française à expérimenter le congé menstruel. Si elles souffrent de règles douloureuses, les agentes peuvent bénéficier d’une autorisation spéciale d’absence sans jour de carence deux jours par mois sur justificatif d’un médecin. Elles bénéficient également d’un accès au télétravail étendu et/ou d’un aménagement de leur poste ou de leurs horaires.
D’autres collectivités envisagent d’expérimenter le congé menstruel :
- La ville de Paris
- Le Conseil départemental de Seine-Saint-Denis
- La ville de Bagnolet
- La Métropole de Lyon
- La Nouvelle-Aquitaine
- Le département de la Gironde
- La métropole de Strasbourg
Vous avez envie d’affirmer votre politique RSE?
Si le congé menstruel est un énorme progrès vers une démarche inclusive, il existe d’autres paramètres pour mener une politique sociale et responsable. Ce nouveau rôle, attendu par les candidats et les salariés, est un enjeu que l’entreprise ne peut plus se permettre d’ignorer.
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De Nathalie Dépret