Qualité de vie au travail : femmes et hommes sont-ils égaux face aux usages numériques ?
Nos modes de travail hyper connectés amènent les entreprises à se préoccuper de l’impact du numérique sur la qualité de vie au travail (QVT) des salariés et plus particulièrement des femmes, davantage sujettes au stress digital que les hommes. Alors femme et numérique, qu’en est-il ?
Développer la qualité de vie au travail demande à l’entreprise de raisonner aussi en termes de QVT numérique. Car la surexposition digitale qui caractérise nos modes de travail existait avant la crise et demeure après la fin du télétravail recommandé à 100% dans certaines organisations.
L’intensification des pratiques en ligne générée par ce dispositif a eu un impact sur la santé des collaboratrices et des collaborateurs, comme le montre une étude de la Dares sur les conséquences de la crise sanitaire sur les conditions de travail et les risques psychosociaux. Elle révèle que le personnel en télétravail (plus que ce lui en présentiel) souffre de troubles du sommeil et de douleurs plus régulièrement qu’avant la crise d’autant que le recours au télétravail est intense.
« On n’en peut plus ! », résume Mathilde Le Coz, DRH de Mazars, en décrivant les mauvais plis pris ces deux dernières années : des visioconférences non-stop par exemple, qui démarrent au saut du lit, avec un nombre moyen participations qui a explosé.
« Les gens acceptent toutes les réunions virtuelles alors qu’ils n’acceptaient pas toutes les réunions physiques. C’est une dérive que tout le monde subit, comme si l’on ne pouvait plus contenir le mouvement » — Mathilde Le Coz, DRH de Mazars
QVT numérique : les femmes pénalisées par le télétravail
Avec une charge mentale accrue pendant les confinements et la volonté de bien faire qui vient l’alourdir, les femmes subissent davantage le stress numérique.
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Usages numériques : les mères d’autant plus touchées
Femme et numérique, un stress supérieur aux hommes, donc. Ce particulièrement les mères de famille comme le pointent les travaux de la sociologue Anne Lambert et de ses collègues de l’Ined (Institut national d’études démographiques), réalisés à partir de l’enquête Coconel.
Le télétravail révèle des inégalités flagrantes au sein du foyer : en moyenne, 25% des femmes disposent d’une pièce où elles peuvent s’isoler contre 41% des hommes. La plupart du temps, elles doivent partager leur espace de travail avec leurs enfants ou d’autres membres du ménage : leur QVT est de toute évidence moins prise en compte.
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Le numérique appuie l’invisibilisation des femmes
Le bien-être au travail, en distanciel ou en présentiel, dépend aussi de la reconnaissance et des perspectives données, deux notions qui demandent aux personnes d’être repérables, visibles.
L’étude Monster/YouGov sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes révèle que pour 100% des personnes interrogées en entreprise, la reconnaissance permet d’augmenter la satisfaction au travail. Or on connaît la difficulté de la plupart des femmes à se « marketer » en interne.
« En virtuel, on ne les voit plus. Assister à une visio ne rend pas visible, prendre le lead demande d’être à l’aise. Un vrai sujet d’empowerment. » nous livre Mathilde Le Coz
Femme et numérique : les usages digitaux sont-ils si genrés ?
Le Collectif pluridisciplinaire Usages Numériques & Égalité a étudié ces usages sous le prisme du genre. L’analyse pendant un an de 30 millions d’en-têtes de courriels professionnels et d’un million de réunions a permis de balayer quelques idées reçues et de mettre en exergue d’importants décalages de perception de l’égalité entre les femmes et les hommes.
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Un découpage genré des journées
Prenons l’exemple des heures d’envois d’e-mail. Le soir (après 18h) est le créneau du “rattrapage” pour les femmes, qui sont environ 15% de plus à envoyer leurs e-mails après cet horaire selon l’étude citée ci-dessus. Un horaire que les hommes dédient de facto moins aux tâches professionnelles.
Cependant, les hommes ont tendance à démarrer tôt le matin (avant 8h) et donc à envoyer des emails avant leur journée-type : 44% de plus que les femmes, tout niveau hiérarchique confondu.
« Il est important d’avoir un cahier des charges commun sur les temps de communication » — Arthur Vinson, fondateur de Mailoop, expert de la communication numérique.
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Réunionite et usages numériques
L’environnement spécifique de l’entreprise est à prendre en compte, il n’existe pas une QVT numérique type applicable partout. En France, l’éditeur de solutions de paie et RH ADP évite autant que possible d’organiser des réunions, virtuelles ou non, le mercredi après-midi parce que les enfants du primaire n’ont pas école.
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Quid des congés parentaux ?
Les usages digitaux parlent aussi de la réalité de certains dispositifs censés favoriser l’égalité femmes-hommes. Ainsi, une organisation s’adapte très peu à un congé paternité de onze jours, les pères continuent d’être sollicités par mail comme d’habitude durant cette période. Le Collectif prévoit d’étudier l’impact que pourrait avoir le prochain passage de ce congé à 25 jours.
Femme et numérique, un enjeu de transformation culturelle et managériale
« Les derniers mois nous ont beaucoup appris sur les façons de parler à distance, la distribution de la parole et sur l’importance d’avoir une communication soutenue avec les collaboratrices et les collaborateurs » indique Nicolas Swiatek, directeur de la communication d’ADP
Les managers ont pour mission de veiller au respect des règles du télétravail, savoir les adapter selon les publics, mais aussi créer les conditions de la QVT numérique en termes relationnels.(qu’est-ce que cela signifie ?)
« Manager à distance, c’est quoi ? C’est manager. Derrière le stress numérique, il y a les usages humains » — Mathilde Le Coz
Cette dernière invite à penser au poids du lien de subordination quand la hiérarchie est mise en copie de chaque courriel sous prétexte de bien faire circuler l’information.
Comme si la présence de témoins était requise dans chacun de nos échanges physiques… Mazars travaille depuis 3 ans avec Mailoop afin de développer de meilleurs usages au travers de vidéos, de campagnes de jeu pour sensibiliser au stress numérique et de formations d’ambassadrices des meilleurs usages digitaux. Cela concerne notamment l’amélioration des courriels (ton, horaire, copie intempestive, etc.).
Créer une charte d’équipe dédiée aux usages digitaux inclusifs
« L’organisation du télétravail doit se négocier de façon continue. Trouver un schéma inclusif est un des rôles des managers » déclare Arthur Vinson.
L’entreprise donne le cadre préservant la santé du personnel, un cadre à adapter à l’échelle de l’équipe avec une charte répondant à des questions telles que :
- Quelle est la réactivité attendue ?
- Quels sont les canaux de communication à privilégier ?
- Quels sont les horaires de réunions souhaitables ?
D’autant que la multiplication des outils risque de créer une fracture numérique dans l’entreprise. La croyance selon laquelle les femmes manqueraient de compétences digitales peut aussi générer des zones d’exclusion.
Développer la QVT numérique demande de vérifier que l’on retrouve le même personnel (tous les niveaux hiérarchiques et toutes les fonctions) sur un nouveau canal de communication — par exemple quand on décide de privilégier une messagerie spécifique plutôt que les traditionnels courriels —, car in fine c’est l’inclusion au sens large qui est visée.
Femme et numérique, une égalité des sexes possibles ?
Le monde du travail est plus digitalisé que jamais, les luttes en termes d’égalité des sexes aussi. A cet effet, des solutions et pistes de réflexion existent pour instaurer une égalité femmes-hommes comme le guide Monster dédié aux femmes dans le milieu du travail. Disponible en téléchargement gratuit, profitez de prises de parole d’experts, d’interviews exclusives et de conseils pratiques.
Sophie Girardeau