Le CV anonyme, un outil de sensibilisation plus que de recrutement ?
La dernière réunion du groupe de travail « lutte contre les discriminations dans l’accès à l’emploi et au travail », aura lieu le 17 février 2015. La généralisation du CV anonyme est à l’étude ainsi que la mise en place d’outils complémentaires.
La dernière réunion du groupe de travail « lutte contre les discriminations dans l’accès à l’emploi et au travail[1] » aura lieu le 17 février 2015. C’est demain ; il faudra pourtant encore attendre pour savoir si « l’anonymisation » des CV sera rendue obligatoire dans les entreprises de plus de 50 salariés. Le rapport que publiera ce groupe à l’issu de ses travaux sera envoyé au ministre du Travail, « la décision de généraliser ou non ce dispositif sera prise par les politiques », explique Sébastien Bompard, associé chez Taste et président d’À compétence égale. Cette association de cabinets de recrutement et d’autres associations, qui, comme elle, luttent contre les discriminations, participent à ces travaux avec l’ANDRH, des syndicats patronaux et de salariés, des représentants du Ministère, de l’intérim, Pôle emploi, Le Défenseur Des Droits – des travaux qui portent sur les méthodes de recrutement non discriminantes, les recours contre les discriminations en entreprise ainsi que la discrimination dans la carrière et l’emploi.
Un précédent rapport, publié par le Centre de recherche en économie et statistique (CREST) en avril 2011, n’avait débouché sur « rien d’effectif en termes d’obligation légale pour les entreprises », note Thierry Andrieux, fondateur d’Humanessence, cabinet membre d’À compétence égale, un des douze à avoir été sollicités en phase test en 2008, soit deux ans après le vote de la loi pour l’égalité des chances du 31 mars 2006 toujours en attente de décrets d’application.
« Beaucoup de candidats veulent assumer ce qu’ils sont »
L’efficacité du CV anonyme ne fait pas l’unanimité, même au sein de d’À compétence égale. « Nous sommes tous d’accord avec le principe de la non-discrimination mais pas forcément sur le chemin à emprunter pour y arriver ; le CV anonyme est une première étape qui ne suffit pas », ajoute Thierry Andrieux. Lui est un ardent défenseur du dispositif, par conviction personnelle et d’entrepreneur : « Cet outil pousse à la rencontre entre le candidat et l’employeur. Les entreprises ne sont pas habituées à voir un identifiant à la place d’un nom, elles doivent reconsidérer leur lecture du CV, c’est une question d’habitude à prendre pour les recruteurs en entreprise ».
C’est plus compliqué que ça. « On marche sur des œufs », reconnaît-il. Le dispositif est extrêmement lourd à mettre en place au niveau informatique. Rendre anonyme un CV ne se limite pas au remplacement d’un nom par un identifiant, cela suppose d’entrer dans le texte et de traiter aussi le genre. On peut le trouver anachronique à l’heure où, personal branding oblige, on encourage les candidats à se faire remarquer. Il peut être décourageant pour eux aussi, comme le souligne Sébastien Bompard, « beaucoup de candidats refusent qu’on envoie leur candidature de façon anonyme, ils veulent assumer ce qu’ils sont ».
Et puis, le CV anonyme marche dans de grands groupes ouverts à la diversité, qui disposent de moyens, notamment humains, mais beaucoup plus difficilement en PME. Les pratiques des entreprises dépendent aussi des profils recrutés. L’outil fonctionne « avec les métiers qui ne sont pas en tension, quand on est dans la sélection après annonce, avec du volume de candidatures, mais pas pour des postes qui demandent un sourcing de compétences plus pointu », explique Sébastien Bompard. Délicat en effet de parler d’anonymat à un candidat que l’on chasse par approche directe.
Proposer des outils complémentaires
L’idée d’imposer le CV anonyme aux entreprises qui ne font rien pour lutter contre les discriminations ressort des discussions actuelles. On parle aussi de traçabilité des candidatures grâce à un registre qui faciliterait d’éventuelles enquêtes a posteriori, et de formation systématique aux recruteurs. « Elle porterait sur l’identification de stéréotypes, la connaissance du cadre réglementaire et le traitement des demandes discriminatoires d’un client », complète-t-il.
Un outil de sensibilisation qui a le mérite de poser sur la table le sujet de la discrimination
Le CV anonyme pourrait devenir un outil de sensibilisation plus que de recrutement. « Il faut se demander à quel stade le mettre en place pour ne pas alourdir le processus de recrutement, car avec de trop fortes contraintes de recrutement, on court le risque d’augmenter le chômage », poursuit Sébastien Bompard.
Au débat, Thierry Andrieux préfère l’action – les résultats d’Humanessence depuis 2008 prouvent l’efficacité du CV anonyme dans son contexte. « Au lieu de juger le dispositif, agissons et ajustons, prenons des mesures qui aillent jusqu’au bout, nous avons une loi qui depuis presque dix ans ne sert à rien. Les Anglo-Saxons y arrivent, pourquoi pas nous ? », conclut-il.
Sophie Girardeau
[1] Créé le 29 octobre 2014 par François Rebsamen et Patrick Kanner, il est présidé par le DRH de Solvay, Jean-Christophe Sciberras, et a pour rapporteur Philippe Barbezieux, inspecteur général des Affaires sociales.