Alors que les accords de télétravail arrivent à leur terme, certaines entreprises envisagent de revenir sur ce mode de travail, mis en place depuis la crise sanitaire. Une erreur stratégique qui pourrait sérieusement compliquer davantage leur politique de recrutement et de rétention de talents. Explications.
Aux Etats-Unis, proposer le full remote n’a plus bonne presse. Chez Telsa, Elon Musk a exigé le retour inconditionnel au bureau des salariés sous peine d’un licenciement expéditif tandis qu’Amazon, Disney ou Google invitent leurs équipes à revenir au bureau en mode hybride.
Côté français, les entreprises qui proposent du 100% full remote – comme Monster – ne sont pas nombreuses et concernent environ 27% des salariés français. Mais en termes de stratégie de télétravail, la renégociation autour de ses modalités pourrait donner de mauvaises idées à certains.
En effet, à en croire l’étude CEO Outlook 2023, menée par KPMG, le travail au bureau est toujours privilégié par plus de 60% des dirigeants français, par rapport au travail hybride. Une décision stratégique qui pourrait coûter cher…
Pourquoi ce retour en arrière sur le télétravail ?
En 2020, le déploiement massif du télétravail avait été imposé par l’irruption d’une pandémie mondiale. Dans leur majorité, les entreprises françaises n’y étaient ni habituées, ni préparées et encore moins favorables. Aujourd’hui, ce mode de travail perturbe toujours les employeurs et l’idée qu’ils se font du télétravail.
1. Le télétravail causerait une baisse de productivité
Les salariés à distance sont-ils aussi efficaces à distance que sur place ? Selon les études existantes et les personnes interrogées, les avis sont partagés. Cette divergence se retrouve clairement dans une étude pilotée par Microsoft qui évoque carrément « une paranoïa autour de la productivité » : d’un côté, 87% des télétravailleurs affirment être plus efficaces alors que 85% des dirigeants doutent de leur productivité.
Cette différence de perception tient à plusieurs choses comme les problèmes de communication, le nombre excessif de réunions, les soucis d’organisation mais aussi la perception accordée à la productivité.
En effet, si 72% d’employés français affirment que le télétravail favorise leur efficacité individuelle, rapporte une étude de sdworx, les managers semblent lier leur productivité à la présence physique : ils ont besoin de voir leurs équipes travailler quand ils traversent l’open space.
Au-delà des différences d’opinion de chacun, il existe néanmoins des situations précises qui peuvent générer une baisse de productivité :
- La productivité des collaborateurs diminuerait de 10% quand on propose du full remote indique un rapport rédigé par l’université de Stanford
- Le télétravail peut avoir un impact négatif sur la productivité s’il dépasse deux jours hebdomadaires selon une autre étude menée par l’OCDE
- Il peut y avoir une baisse de 18% de productivité chez les nouveaux salariés qui pratiquent le télétravail, note une étude du MIT.
2. Le télétravail perturbe la fonction managériale
Pour de nombreux managers, manager à distance est un véritable casse-tête. Absolument pas préparés à ce système, ils ont encore du mal à appréhender cette nouvelle organisation et n’ont certainement pas été assez soutenus par leur hiérarchie.
Et si télétravail et management ne font pas toujours bon ménage, on peut y trouver d’autres explications :
- Comme l’explique le rapport de Stanford, le 100% télétravail ou le mode hybride « exigent de nouvelles compétences particulièrement pour les managers qui, pour beaucoup n’ont pas été formés et se sentent désoeuvrés. Ce processus d’adaptation implique une phase d’essai et d’erreurs ».
- 90% des managers déclarent qu’avoir confiance en leurs collaborateurs est un défi pour eux, rapporte l’étude de Microsoft. Un lien pourtant indispensable à la réussite et à l’épanouissement des collaborateurs, parasité par la culture du présentéisme toujours très valorisée en France.
3. Le télétravail endommage le lien social
Pour beaucoup de salariés, aller au travail, c’est aussi côtoyer des collègues qui sont parfois des amis, déjeuner ensemble ou aller boire un verre après le boulot. Or, certains travailleurs à distance vivent mal ce sentiment d’isolement tandis que d’autres ont le sentiment de passer à côté de choses importantes quand ils ne sont pas sur place. On doit bien admettre qu’une conférence Zoom n’a rien à voir avec une réunion en présentiel.
4. Le télétravail diminue le sens du collectif
Comment maintenir le lien et la culture d’entreprise quand les collaborateurs sont absents du bureau plusieurs jours par semaine ? Une question prégnante parce qu’elle met le doigt sur les difficultés à créer une cohésion autour d’un projet commun en faisant preuve d’écoute et d’empathie notamment.
Sauf que la présence au bureau ne forge pas automatiquement l’esprit d’équipe. On sait par exemple que l’open space peut même être contre-productif comme le rappelle une étude citée par Les Echos qui montre que 99% des salariés seraient distrait sur leur lieu de travail ! Pourtant, quand il s’agit de collaboration en commun, de communication ou de bienveillance, il est tout à fait possible de fédérer à distance.
Les dangers de mettre fin à une politique de télétravail
Si certains veulent mettre fin au full remote, renoncer au télétravail serait une grave erreur. Et si le télétravail reste encore à perfectionner, « il faut tout faire pour ne pas revenir comme avant » conseille la philosophe Julia de Funès, qui alerte contre la tentation de reprendre les vieilles habitudes.
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C’est ignorer la crise profonde qui touche les salariés
Les états d’âme des salariés ont conduit à une désacralisation massive du travail. Qu’on le veuille ou non, le travail n’est plus l’élément central d’une vie, encore moins un marqueur social, particulièrement pour les jeunes générations en quête de sens.
Le bien-être, l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle sont devenus essentiels et 80% des salariés français estiment que le télétravail permet cet équilibre indique une étude de sdworx. D’ailleurs, l’étude révèle également que lorsqu’ils travaillent à domicile, 63 % des Français admettent qu’ils sont moins susceptibles de recourir aux arrêts maladie et 62% affirment être plus enclins à travailler plus longtemps les jours où ils sont en télétravail.
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C’est refuser de se remettre en question
Pour certains, le télétravail serait responsable de (presque) tous les maux de l’entreprise. Sauf qu’arrêter le télétravail, c’est briser le lien de confiance établi avec les salariés pendant la pandémie.
L’étude Microsoft indique que 49% des managers en mode hybride ont des difficultés à avoir confiance en leurs collaborateurs et 54% expliquent qu’ils ont moins de visibilité sur leurs équipes. Une pression constante sur des collaborateurs qui doivent « prouver » qu’ils travaillent. N’est-il pas temps de changer de posture ?
Au lieu de fournir des preuves qu’ils travaillent assez, 81% des salariés préféreraient que leurs managers les aident à prioriser leurs tâches, ce qui n’est le cas que pour 31% des personnes interrogées. Une stratégie qui devrait être impulsée par le haut : en effet, 80% des managers disent avoir personnellement besoin de clarifier les priorités majeures.
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C’est risquer de perdre certains collaborateurs
Pour tous ces salariés qui ont « goûté » à la flexibilité, devoir renoncer à un voire deux jours de télétravail serait une hérésie. Comment ignorer ses avantages comme le gain de temps de transport, les économies de frais d’essence, la diminution du stress, une meilleure concentration ?
Ces bénéfices pourraient pousser certains à aller voir ailleurs, ce qui pourrait encore amplifier la Grande démission. Pour rappel, au deuxième trimestre 2023, la Dares recensait 490 400 démissions de salariés en CDI, sans parler des 500 000 ruptures conventionnelles signées en 2022.
Alors comment retenir ses salariés ? Plusieurs études citées dans le rapport Stanford expliquent que les démissions baissent et les salariés sont plus heureux quand une entreprise adopte un mode de travail hybride. Et un salarié heureux est salarié productif…
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C’est mettre en péril l’attractivité de l’entreprise
En abandonnant leur stratégie de télétravail, les entreprises qui ont des problèmes d’engagement ne feront qu’aggraver leur situation. Le but n’est pas d’être un employeur cool mais de faire face à la réalité et à un changement de paradigme. Il est impossible d’ignorer qu’aujourd’hui, 60% des salariés souhaitent faire du télétravail (Baromètre 2022 du cabinet JLL) et que le télétravail permet aux salariés de gagner 62 minutes par jour de temps de transport, une économie de temps dédiée en premier lieu à leurs tâches professionnelles (Global survey of working arrangements)?
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C’est se priver de candidats potentiels
Tous les acteurs du monde de l’emploi sont confrontés à la difficulté de recruter des profils qualifiés. L’attractivité du télétravail auprès des candidats est telle qu’ils s’en inquiètent dès l’entretien d’embauche. Dans un marché qui leur est favorable, il y a fort à parier qu’ils préféreront une entreprise ouverte au travail hybride ou qui propose du full remote.
Comment mettre en place le télétravail, le mode hybride voire même la semaine de 4 jours tout en satisfaisant tous les acteurs concernés ? Les entreprises ont besoin de mesurer soigneusement leur stratégie future pour garder leur talent et former leurs managers. Car comme le dit Scott Farquhar, PDG de Atlassian adepte du 100% télétravail, « le travail est une vocation, pas un lieu».
Comment faire face à ces nombreux défis ?
Pour répondre aux enjeux humains et pérenniser son activité, l’entreprise doit passer par l’innovation managériale. Pour vous guider dans cette stratégie, téléchargez gratuitement notre livre blanc pour comprendre les enjeux d’un management dont la mission est d‘améliorer le bien-être et la rétention des salariés grâce à nos conseils d’experts.
De Nathalie Dépret