La diversité en 2030 : vers le règne des communautés ?

En matière de diversité, que nous réserve 2030 ? Dans les scénarios élaborés par E&P, la multiplication des communautés est au programme. Les amateurs de science-fiction apprécieront, les âmes sensibles s’alarmeront.

Lors de sa conférence de presse du 15 octobre 2019, E&P (Entreprise & Personnel) dévoilait différentes visions de la diversité à l’horizon 2030. Cette prospective est le fruit d’un travail 100% collaboratif. Traité sous un angle hexagonal et international, mené à l’échelle groupe avec cinq entreprises — Air France, Axa, EDF, Orange et Safran —, ce travail a aussi mobilisé plus d’une dizaine de chercheur·ses (cinq ayant déjà travaillé sur le sujet de la diversité contrairement aux huit autres, pour une vision élargie). Complété par des recherches dans le deep web, il a fait émerger quatre scénarios dans lesquels l’inclusion au sens large (trait commun des démarches RSE actuelles dont une quarantaine sont rassemblées dans le livre blanc Monster dédié au sujet) semble avoir cédé la place à des tensions de plus en plus marquées entre des communautés de plus en plus nombreuses.

Création de communautés de plus en plus complexes

L’émergence de nouvelles formes d’hybridations (humain/technologie, humain/animal…), ajoutée aux phénomènes actuels marqués par un fort brassage, géographique et culturel notamment (du fait des flux migratoires économiques climatiques et politiques, de l’émergence d’une identité de genre non binaire, de la mondialisation, de l’augmentation des couples mixtes…), pourrait favoriser la création de collectifs et de communautés de plus en plus complexes.

Émergence de communautés se faisant et se défaisant au gré des intérêts

Paradoxalement, ou non, les individualités sont au cœur du deuxième scénario envisagé par E&P. Elles primeront sur toutes les formes de collectif. Dans une société où la mise en avant de sa personne et de ses réussites serait poussée à l’extrême, où la non prise en compte de l’individualité pourrait devenir un délit, on assisterait à l’émergence de revendications identitaires de sous-groupes, de communautés, par métier, par génération, etc. Communautés qui se feraient et se déferaient au gré des intérêts et que les politiques RH devraient cibler précisément. « Sur fond de guerre des talents, l’entreprise aura intérêt à personnaliser la relation avec ses salarié·es », considère Maud Guy-Coquille, responsable de projets chez E&P.

Réactions violentes de communautés oubliées

Dominations, contrecoups et réactions violentes : trois coups comme au théâtre pour annoncer une diversité faite de tensions entre les communautés et d’inégalités. Le scénario Backlash présenté par E&P ressemble à un scénario catastrophe. Il est marqué par le renforcement des inégalités, de revenus mais aussi celles qui relèvent de l’apartheid climatique. Il présage la peur du déclassement des classes supérieures, fait apparaître une multitude de failles au sein des entreprises et des rapports de force qui se radicalisent ou s’inversent.
« Certaines politiques diversité actuelles peuvent contribuer à cette radicalisation des rapports de force car des populations peuvent se sentir oubliées », explique Laurence De Ré-Vannière, directrice générale adjointe d’E&P.

Communautés d’individus augmentés et surconnectés contre communautés techno-résistantes

Dans le scénario TechFrac, celui d’une fracture numérique de plus en plus prononcée, les innovations technologiques, précédées de leur cri de guerre — ATAWADAC ! (any time, anywhere, any device, any content) — déboulent à un train d’enfer. Grâce à elles, les barrières de la langue tombent, des handicaps disparaissent, les capacités cognitives peuvent être améliorées. « Certaines problématiques actuelles de diversité sont donc résolues mais des fractures existent », estime Maud Guy-Coquille. Parmi les risques que fait courir la tendance à l’hégémonie des technologies, l’émergence de techno-communautarismes ayant pour conséquence la montée d’oppositions entre les communautés faisant corps au sens propre avec les technologies (communautés d’humains augmentés — ayant les moyens de l’être —, ayant recours aux smart drugs, dotés d’additional skills décuplant leurs capacités à transposer et à analyser), et les communautés défavorisées et/ou techno-résistantes.

Répondre aux enjeux de prévention des discriminations et des exclusions

Face à des scénarios dont les sujets peuvent s’emboîter, qui prévoient la montée d’opposition entre les communautés (dans une société où l’implant de puces RFID serait généralisé, on assisterait par exemple à des luttes entre groupes d’individus « implantés » et les autres), la tentation du refus de la diversité est là. Le refus d’une diversité contreproductive, qui va de plus en plus vers le regroupement de personnes qui se reconnaissent comme semblables et de moins en moins vers l’inclusion des différences.
Pour anticiper une diversité « bouleversée », « les entreprises auraient intérêt à se saisir ou se ressaisir de questions socio-économiques qui prennent de l’acuité en termes d’enjeux de prévention des discriminations et des exclusions, de facilitation du vivre ensemble, d’instauration d’un climat propice aux coopérations », pointe Laurence De Ré-Vannière. La question des croyances sous différentes formes (fait religieux, véganisme, climato scepticisme, antispécisme…), celles de l’apparence physique (grossophobie, tatouages, piercings, exosquelettes…) et de la diversification des contrats de travail. Elles seraient aussi bien inspirées de s’emparer de thèmes qu’elles ont délaissés : la précarité, les travailleur·ses pauvres, les catégories socioprofessionnelles dans leur ensemble, les nouvelles façons de travailler et leurs effets, l’internationalisation de l’entreprise et les risques liés aux technologies.

Au royaume futur des communautés, les DRH pourraient faire alliance avec les groupes dominants de l’entreprise, pour préserver leurs acquis, ou jouer la carte de la division pour mieux régner, ou encore, miser sur la régulation sociale et l’apaisement. Disons-leur aujourd’hui que la fin des combats passera par plus d’altérité plutôt que par plus de diversité.

Sophie Girardeau

Publié le 30 octobre 2019.