Le 21 septembre 2017, Monster consacrait une table ronde à l’employabilité et dévoilait les résultats d’une étude sur ses leviers et les meilleurs moyens de la développer. Retour sur un débat qui a questionné les responsabilités respectives de l’individu, de l’employeur et du modèle français.
Pour parler d’employabilité, on peut avancer des chiffres : 82% des actifs français interrogés dans le cadre de l’étude Monster/Ifop sur ses leviers et les moyens de la développer, s’estiment suffisamment formés pour le secteur d’activité dans lequel ils souhaitent travailler, et 34%, totalement formés. Seuls 18% d’entre eux estiment l’être insuffisamment, une part qui grimpe à 21% chez les 18-24 ans et 30% chez les chômeurs ayant déjà travaillé.
On peut se référer à la définition qu’en donne le ministère français du travail : « capacité d'évoluer de façon autonome à l'intérieur du marché du travail, de façon à réaliser, de manière durable, par l'emploi, le potentiel qu'on a en soi », qui dépend « des connaissances, des qualifications et des comportements qu'on a, de la façon dont on s'en sert et dont on les présente à l'employeur ».
On peut aussi chatouiller le concept, avec Dominique Glaymann, sociologue et coauteur de l’ouvrage Le piège de l’employabilité (PUR, septembre 2017). « La capacité à occuper un emploi, une capacité reconnue, y compris par l’employeur, dépend de la formation mais, très largement, de l’expérience, du parcours, du réseau, autant de choses difficiles à délimiter, c’est en cela que la notion ne décrit pas grand-chose », pointe-t-il.
Ou soupeser les responsabilités de l’individu, de l’employeur et du modèle de travail français. À la question Ifop/ Monster : « sur quel acteur comptez-vous pour votre employabilité ? », 38% des actifs français répondent qu’ils comptent d’abord sur eux, ensuite sur l’entreprise. « La proportion de ceux qui comptent sur leur employeur augmente avec la taille de l’entreprise », précise Cédric Gérard, directeur marketing Europe du Sud et Bellux de Monster.
Surqualifié, sous-qualifié ? Surtout être qualifié pour le poste
L’employabilité ne dépend pas du seul niveau de qualification mais il faut quand même se former continuellement pour la maintenir. Les résultats d’une étude de France Stratégie sont éloquents : à une époque de chômage de masse, elle recense 31% de surqualifiées et 14% de sous-qualifiés.
« Il s’agit surtout d’être qualifié pour le poste », pointe Christelle Meslé-Génin, fondatrice de JobIRL, « certains Bac+5 sont formés pour des fonctions qui n’existent pas, ils ne sont pas attendus par les entreprises ».
Qui plus est, l’obsolescence des compétences s’accélère. Comme l’indique McKinsey dans son étude Technology, jobs, and the future of work, environ 30% des emplois seront concernés par ce problème d’ici 2025. Le phénomène pousse et poussera les travailleurs à se reconvertir dans des métiers qui existent déjà ou dans de nouveaux. Au cours de sa vie professionnelle, on peut donc passer de suffisamment à insuffisamment qualifié et, sur les huit Français sur dix qui se disent formés à leur poste, « combien sont-ils à se sentir formés au suivant ?, parce que l’employabilité, c’est le prochain job, pas celui d’aujourd’hui », réagit Thierry Grimaux, Partner du cabinet Valtus.
La motivation individuelle, facteur indispensable mais pas suffisant
Si l’employabilité passe, entre autres, par de la formation tout au long de la vie, encore faut-il que les salariés trouve la motivation de l’entretenir, et qu’ils soient prêts à s’emparer des dispositifs mis en place par les entreprises. « Chez Monster, on se rend compte lors de l’entretien professionnel que tout un pan de la population ne connaît pas le compte personnel de formation (CPF) et passe à côté des opportunités qu’on développe pour eux. En interne, ceux qui réussissent sont ceux qui cherchent à innover et vont chercher l’information pour avoir toujours un temps d'avance », remarque Nelly Rey, DRH de Monster France. Mais s’approprier les moyens mis à disposition par les entreprises demande d’avoir une vision claire de ce qu’on peut et veut faire, alors qu’on ne connaît pas les métiers de demain. « Et quand bien même, il faut savoir dire qu’elle est la formation idoine… et la trouver dans la liste », remarque Maureen Halbeher, directrice de l’innovation du Groupe Randstad France.
L’alternance selon OpenClassrooms, une façon de créer une « supply chain » de talents
Parfois, ce n’est pas la motivation de travailler son employabilité qui pêche mais les moyens qui manquent. « Des masses de personnes attendent d’être formées sans en avoir la capacité financière », constate Attila Szekely, directeur du développement d’OpenClassrooms. En annonçant cette année un emploi garanti au terme de la formation, faute de quoi ses frais sont intégralement remboursés, la plateforme de formation en ligne s’engage à réduire l’inadéquation entre la demande de l’entreprise et l’offre de compétences. Son dispositif d’alternance, Online Apprenticeships, lancé en partenariat avec Capgemini, prend ainsi en compte la problématique de la capacité financière à se former. Les candidats ont un salaire en début de formation et un diplôme reconnu par l’État à la fin. « On pré engage des promotions entières pour les gros employeurs et on les forme exactement aux compétences dont l’entreprise a besoin. Ainsi, on peut créer une sorte de supply chain des talents », développe-t-il. Pour cette première promotion, 1300 personnes ont postulé pour 20 postes, OpenClassrooms a préqualifié un sous-ensemble et Capgemini a effectué la sélection finale.
L’impact du modèle de travail sur l’accès à la formation professionnelle
La prédisposition à se former pour maintenir son employabilité est aussi fonction du modèle on l’on évolue. Au Danemark par exemple, 21% des adultes se forment tout au long de la vie, contre 3% en France. « Mais la formation professionnelle va de pair avec un modèle de turnover très développé, dans un contexte où les gens sont habitués à changer de travail », explique Christèle Meilland, chercheuse à l’Institut de recherche économique et sociale (IRES). En France, moins on est qualifié au départ, moins l’entreprise est grande, moins on accède à la formation continue. « Les cadres, en CDI, dans les grandes entreprises, sont ceux qui y accèdent le plus, c’est très, très net dans les chiffres », constate Dominique Glaymann. Un problème qui s’explique en partie par un manque d’information dans les petites entreprises qui ne disposent pas des mêmes canaux que les grandes pour la diffuser (services RH, syndicats…).
Choisir ou subir sa situation, quel que soit son statut
Salarié, intérimaire, indépendant, manager de transition… : quel que soit son statut, un travailleur doit maintenir son employabilité. Parmi les 3000 managers de transition que gère Thierry Grimaux chez Valtus, la moitié sont venus à ce mode de travail par choix. « Les autres, la vie a choisi pour eux. Et ceux qui sont tout le temps en mission se forment en permanence », note-t-il. Ainsi, un profil financier apprend la dernière version du logiciel Sage pendant son intermission, ou bien, sachant que plein de centres de services partagés (CSP) sont installés en Pologne, se met au polonais. Même constat dans le travail temporaire où l’on teste la flexisécurité. Randstad a implanté le CDI intérimaire en pensant que ce contrat serait plébiscité. Or, « beaucoup d’intérimaires préfèrent le rester parce qu’ils ont choisi ce mode de travail et qu’ils sont tout le temps en mission. Nous pensions pouvoir ainsi fidéliser cette population au fort turnover, ce n’est pas le cas », constate Maureen Halbeher.
Sophie Girardeau